« Mais pourquoi je réagis comme ça ? » Théorie polyvagale et sentiment de sécurité
De quelle manière votre corps prend-il ses décisions ?
Neuropsychologie : L'apport de la théorie polyvagale sur les comportements de sidération lors de situations traumatiques (ou vécues comme telles).
Comprendre les mécanismes inconscients du système neurovégétatif autonome permet changer de regard : de passer de la honte et la culpabilité à l'estime de soi et de son corps.
Vous n’avez que quelques minutes : allez directement sur la vidéo de Julien Renault.
Vous avez un peu plus de temps : c’est parti.
La théorie polyvagale a été développée par Stephen Porges, PhD, psychologue et neuroscientifique etasunien dans les années 90.
Elle explique la réaction physiologique de sidération du système nerveux autonome (SNA) en cas de situation de stress. En anglais Porges parle de « shut down » : éteindre, débrancher, fermer boutique. Cette réaction est à la fois innée et acquise.
- Innée : issue de notre évolution sur des millénaires (ex : moi, l’antilope je suis dans la gueule de la lionne, je ne bouge plus, « shut down » : la lionne me croit morte, me laisse par terre et s’en va chercher ses petits. Je sors de ma léthargie et je repars vivante sur mes quatre pattes (voir les vidéos étonnantes sur youtube)
- Acquise : fruit de notre expérience de vie depuis notre naissance (ex : avec le travail en somatothérapie une cliente observe qu’elle se fige lorsqu’elle entend de la colère monter dans une voix masculine. Lors d’une vibration du bras, la « gueulante » mémorable de son père qui la secouait comme un pruneau lui est revenue. Elle avait 5 ans et, avec ses perceptions d’enfant, elle avait cru mourir ce jour-là. Cette mémoire a pu être petit à petit remise à sa place, dans le passé, par le travail psychocorporel).
Cette théorie est assez peu connue en France (traduction française en 2021). Je la trouve pourtant très utile pour mes patients. Je suis partie d'une interview de Stephen Porges par Gunther Schmidt - vidéo originale et d’autres ressources disponibles à la fin de cet article - pour vous proposer une interview fictive entre Porges et moi. Cela me permet d'y intègrer mon expérience clinique et ma manière d’utiliser sa théorie dans mes accompagnements.
Je vous souhaite une bonne lecture !
Interview imaginaire de Stephen Porges
Ninon Carnoy : Bonjour Stephen Porges, je suis très heureuse de vous interviewer sur la théorie polyvagale et vos recherches en neuropsychologie. Dans mon propre travail de somatothérapeute et praticienne en shiatsu et rebirth, je m’appuie de plus en plus dessus. Je vous demanderais donc de nous exposer l’intérêt de la théorie polyvagale. Et tout d’abord :
Qu’est que la théorie ployvagale ?
Stephen Porges : La théorie polyvagale est la compréhension de la façon dont notre corps réagit à différents défis. Nos réactions sont basées sur l'évolution de notre système nerveux autonome d’animaux vertébrés. Au fur et à mesure que ce système mutait, il a créé différents circuits. Et ces circuits fonctionnent selon une hiérarchie. Les plus récents circuits peuvent inhiber les plus anciens. Mais les circuits plus anciens sont des circuits de défense.
En psychothérapie et en médecine, nous commençons à comprendre que la plupart des maladies, y compris les maladies physiques chroniques, sont en réalité des maladies psychosomatiques : des maladies du système nerveux autonome. Et le système nerveux autonome change également en fonction de la santé mentale.
La théorie polyvagale montre que nos réactions au monde suivent un schéma évolutif. Le circuit le plus récent est celui de l'interaction sociale. Il est lié à une voie vagale propre aux mammifères. Le nerf vague est un nerf qui va du tronc cérébral au cœur. Et ce nerf est relié dans le tronc cérébral aux muscles, notamment ceux qui régulent les muscles du visage et de la tête. Ainsi, cette interview est pour moi l'occasion de parler de la théorie polyvagale dans un système de relation sociale, qui est en fait la régulation neurologique de l'activité physique : Il s'agit de la neuro-régulation des muscles de la vocalisation, des muscles de l'écoute, des muscles de l'expression faciale et de la gestuelle, comme nous le faisons en ce moment dans cette discussion, en nous faisant des gestes l’un à l’autre.
Ces muscles sont reliés au nerf qui régule le cœur. Il s'agit donc d'une corégulation interactive de l'état autonome.
A quoi sert cette corégulation ?
SP : Cela permet à nos corps d'être dans un état qui favorise le développement et le rétablissement de la santé.
Lorsque ce système ne fonctionne pas, nous commençons à observer les comportements et les symptômes associés aux problématiques de santé mentale : comportements inadaptés, accès de rage, anxiété.
D’où vient la sidération ?
SP : La théorie polyvagale doit son nom au fait que l'étude de l'évolution du système nerveux autonome permet d'identifier un autre système de défense qui est de se fermer, de s'éteindre littéralement : de perdre conscience ou être sidéré, ce qui, dans le domaine de la santé mentale, se traduit souvent par des états dissociatifs. Cette immobilisation physiologique liée à la peur n’est pas toujours vraiment reconnue par la justice, la psychiatrie ou la psychologie qui peut essayer de tout faire entrer dans le cadre de la lutte ou de la fuite face à un stress (agression ou autre). Et lorsqu'on étudie les traumatismes, ça ne fonctionne pas vraiment comme ça.
Les neurosciences pour sortir de la honte, de l'incompréhension et de la culpabilité
NC : Dans le cadre de mon travail de somatothérapeute, j’utilise votre théorie pour expliquer et faire comprendre aux gens leurs différentes réactions. En effet, de nombreuses personnes se trouvent dans un état de paralysie si inconfortable et si menaçant qu'elles se dévalorisent. Elles s’en veulent... En leur expliquant qu'il s'agit en quelque sorte d'une compétence évolutive, cela les aide à changer de regard sur la situation et sur elles-mêmes.
Le figement, un réflexe involontaire de survie
SP : Oui, c'est vraiment une compétence. C'est très soulageant pour les gens. J'ai également observé ce phénomène lorsque les gens apprennent ce que leur corps fait pour les protéger. Leur récit personnel passe du statut de victime à celui de survivant. Ils ont eu une réaction spontanée très positive. Et c'est vraiment étonnant parce que nous sommes très orientés, en tant que psychologues et psychiatres du monde occidental, à penser que le comportement est volontaire, intentionnel et acquis. Mais la théorie polyvagale nous dit qu'il y a beaucoup de réponses fonctionnelles qui sont des réflexes. Ils sont implicites. Ils se situent à l'intérieur du corps. Et lorsque notre corps réagit, nous commençons spontanément à construire des explications très complexes, qui n'ont peut-être rien à voir avec ce que notre corps a fait ou senti. Le cortex tente de donner une explication plausible. Avec la théorie polyvagale, les questions entêtantes : "Pourquoi ne me suis-je pas battu.e quand on m'a immobilisé.e ?" "Pourquoi ai-je laissé la personne abuser de moi ?" trouvent une réponse : « ce n'était pas un choix volontaire ! ». Leur corps a pris ce type de décision en dehors du domaine de la conscience. C'est ce processus que j'appelle la « neuro-exception » parce qu'il ne s'agit pas d'une prise de conscience, ni d'une perception, mais d'une réaction corporelle implicite très rapide. Et tout ce que nous avons à faire, c’est de nous rende compte que notre réaction est une réaction de survie liée à un processus d’adaptation. Si nous étions dans une situation de danger immédiat que nous y réfléchissions pour décider si nous devions nous battre ou fuir, nous serions probablement morts. C'est donc une adaptation de l'espèce qui a été intégrée par notre corps. Et c'est évidemment lié à des contextes différents. La lutte et la fuite sont utiles dans certains contextes. Mais l'immobilisation est utile dans d'autres contextes.
Comment anticiper ces réactions involontaires ?
SP : Parfois, nous ne savons pas comment notre corps va réagir. Une partie de sa réaction est liée à notre propre histoire : nos propres expériences en tant qu'enfant ou jeune adulte, au travail ou dans tout autre type d’organisation peuvent avoir une influence. Nous apprenons littéralement par association inconsciente. Ainsi, lorsque j'ai dialogué avec l'un de mes collègues qui avait des antécédents traumatiques, ma voix est passée à une fréquence plus basse. Alors, ma voix s’est confondue avec la voix de son père dans sa tête. Elle a senti que cela activait un traumatisme, même si une partie d’elle trouvait cela stupide. Mais c’est une réaction appropriée dans un autre contexte. C'est précisément là où j'utilise l'expression "la beauté du système", c'est que le système réagit. Et nous ressentons la réponse corporelle.
NC : Depuis que je travaille avec votre théorie, je l’expliquer aux gens pour qu'ils puissent être observateurs : même s'ils ne savent pas ce qui se passe en eux, ils peuvent donner un sens différent à la situation. Par exemple : « Je me sens comme si j'avais tendance à être dissocié. Je ne sais pas encore à quoi correspond ce signal. Mais c'est certainement un signal intelligent. C'est un signal compétent. » Ensuite, nous devons le recontextualiser pour ainsi dire. Et lorsque nous le recontextualisons, nous le respectons. Nous respectons la personne et son histoire.
SP : Exactement.
Quel est l’impact du traumatisme sur le rapport à son propre corps ?
SP : L’un des effets du traumatisme est le manque de respect pour son corps. Les gens ont l'impression que leur « système nerveux a failli à sa tâche ». Qu'ils ont été incapables de se bouger et de se battre. Ils sont en colère contre eux-mêmes. Ce qu'ils doivent faire, c'est être reconnaissants. Aimer ce que leur corps a fait. Vous remarquerez que je pointe sous le diaphragme. C'est parce que les organes situés sous le diaphragme font partie de cette réaction de blocage. La régulation neuronale des organes situés sous le diaphragme est donc différente de celle des organes situés au-dessus.
Notre système de lutte et de combat est en haut.
Notre système d'arrêt est en bas. Et lorsque nous examinons les symptômes des personnes qui ont vécu des expériences de sidération, on trouve tous ces problèmes : intestins irritables, problèmes digestifs. C'est parce que la régulation neuronale située sous le diaphragme a été mobilisée pour la défense et non pour l'homéostasie.
NC : Oui, j’observe cela. En séance nous travaillons beaucoup sur la respiration pour remettre de la mobilité et du mouvement dans le ventre et aussi au niveau du plexus qui est souvent très douloureux. Le travail sur l’ensemble du corps permet aussi à la personne de prendre conscience de sa surface corporelle et libérer des mémoires traumatiques enfouies. Parfois la personne découvre une conscience morcelée de son corps. L’aider à relier tous les bouts de son corps permet de donner de nouvelles expériences au système nerveux autonome. Petit à petit il met à jour ses indicateurs d’alerte. Et peut alors autoriser la détente corporelle et mentale. Merci beaucoup pour cet entretien. Je renvoie nos lecteurs à vos vidéos et ouvrages.
SP : Merci beaucoup, c’était un plaisir d’échanger avec vous et de faire connaître un peu plus la théorie polyvagale en France.
Vidéos, livres, ... quelques ressources pour aller plus loin au sujet de la théorie polyvagale
Vidéo : Stephen Porges - Théorie polyvagale
Stephen Porges - Polyvagal Theory: how your body makes the decision